Le prédicateur, religion ou raison ?

17:54:00

Chronique littéraire Le Prédicateur par Mally's Books - Mélissa Pontéry


Après le mystère de La princesse des glaces, Erica Falck et Patrik Hedström se trouvent à nouveau confrontés à une série de crimes aussi curieux qu’inquiétants.
Mais au-delà de l’atrocité des hommes se cache une réalité mystique bien plus dérangeante…  

La quatrième de couverture…  

Dans les rochers proches de Fjällbacka, le petit port touristique suédois dont il était question dans La Princesse des glaces, on découvre le cadavre d'une femme. L'affaire se complique quand apparaissent, plus profond au même endroit, deux squelettes de femmes... L'inspecteur Patrik Hedström est chargé de l'enquête en cette période estivale où l'incident pourrait faire fuir les touristes et qui, canicule oblige, rend difficiles les dernières semaines de grossesse d'Erica Falck, sa compagne.
Lentement, le tableau se précise : les squelettes sont certainement ceux de deux jeunes femmes disparues vingt-quatre ans plus tôt. Revient ainsi en lumière la famille Hult, dont le patriarche, Ephraïm, magnétisait les foules accompagné de ses deux petits garçons, Gabriel et Johannes, dotés de pouvoirs de guérisseurs. Depuis cette époque et un étrange suicide, la famille est divisée en deux branches qui se haïssent.
Alors que Patrik assemble les morceaux du puzzle, on apprend que Jenny, une adolescente en vacances dans un camping, a disparu. La liste s'allonge...  

Absolu : la foi excuse-t-elle tout ?  

Etrangement, toutes les pistes convergent vers une seule et même fratrie : les Hult. Mais les deux enfants du Prédicateur Ephraïm Hult ne semblent pas avoir hérité des mêmes avantages. Alors que Gabriel a su s’imposer comme un homme respectable, socialement bien établi et estimé, Johannes laisse derrière lui une famille démunie, anéantie par la honte et l’amertume. A Fjallbacka comme ailleurs, les commérages vont bon train mais aussi bien cachés soient-ils, les secrets finissent toujours par être déterrés…

Le noyau de la famille est toujours un élément central des romans de Camilla Läckberg, celui par qui tout arrive. Parce que la famille est le premier lien social et probablement l’un des plus forts et des plus complexes, l’auteure y trouve à chaque fois une inépuisable ressource de nœuds à démêler. Et lorsque celle-ci évolue dans un environnement religieux dans lequel la croyance est une valeur fondatrice, l’attrait psychologique n’en est que plus fort.

Au-delà de l’enquête policière, Läckberg aborde dans ce roman l’épineuse question de la doctrine religieuse face à la raison humaine. Jusqu’où la croyance peut-elle mener ? Si la foi motive les actions des croyants, ces actions sont-elles justes pour autant ? Elle dénonce en quelques sortes le caractère sacré, absolu de la religion qui impose un cadre de pensé rigide et privé de sens critique. Loin de remettre en cause la liberté de culte, l’auteure semble davantage s’interroger sur la légitimité d’un bourrage de crâne illusoire et les conséquences parfois désastreuses pour quiconque ne prendrait pas un peu de hauteur sur les textes. Par ailleurs, elle fait un parallèle intéressant entre la religion qui spécule sur la faiblesse des hommes, leurs angoisses, leurs désirs et la vaste mascarade inventé par Ephraïm Hult qui semble s’appuyer sur les mêmes piliers. Où se trouve la notion de relativité ? A l’image du tueur, persuadé d’agir pour de bonnes raisons, aller trop loin dans la croyance, n’est-ce pas aller à la déraison, sombrer dans la folie ? Certains trouveront le dénouement de l’enquête un peu abracadabrantesque ; peut-être était-ce le cas à l’époque de la sortie du livre (2004). Mais plus de dix ans après, est-ce si étonnant ? De manière implicite, Camilla Läckberg rappelle simplement que l’ouverture d’esprit est indispensable pour vivre en paix et en harmonie.

L’autre aspect particulièrement intéressant dans ce roman, est le caractère profondément humain des deux héros principaux. Comme pour trancher avec l’horreur accablante qui plane sur ses histoires, Erica et Patrik sont là pour représenter l’homme dans tout ce qu’il a de plus « normal », doté de sensibilités, de faiblesses. Somme toute, des personnages qui acceptent de ne pas toujours maîtriser leurs destins. Cela se retrouve en particulier chez Erica qui dresse un portrait peu flatteur de la grossesse, mais finalement assez réaliste. Ce choix narratif amène un côté rassurant au milieu de toute ces atrocités contribue à créer l’attachement aux personnages  

Pour résumer…  

Le prédicateur va encore plus loin macabre en installant un process de crime inoubliable et singulier. Au début du livre, on a pourtant une impression de facilité. Les connexions se font rapidement et simplement, peut-être un peu trop… Car bien sûr, c’est sans compter sur la dextérité de Camilla Läckberg qui multiplie les pistes foireuses, les faux suspects et les zones d'ombre pour nous faire avancer à pas de loup. La mécanique du suspense est parfaitement maîtrisée et l’auteure manipule son lecteur avec jubilation.

Pour moi, cette auteure est véritablement surprenante. A travers cette saga, elle nous propose la chronique sociale d’un monde au sein duquel la haine et la violence sont plus que jamais la norme. Ses récits vont bien au-delà de la simple enquête policière mais proposent toujours une analyse d’une thématique particulière et universelle : la famille, le rapport à la religion, la nostalgie du passé, la construction identitaire… L’écriture de ce type de textes demande un effort de compréhension psychologique, de recherches et de créativité qui me pousse à admirer le travail de Läckberg, car s’attaquer au « Vivre ensemble » n’est pas une tâche simpliste. Personnellement, le thème central de ce roman m’a fait froid dans le dos.  


Ma note…  

15/20  

Le prédicateur
Camilla Läckberg 
500 p. Babel Noir, 9,70 €


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